Le renouvellement de ce projet a été stoppé net par la crise provoquée par le covid-19. Pour la première fois en 29 ans, LA Maison Pop’ fut mise à l’arrêt du 17 mars jusqu’au 18 mai 2020. En amont il y eut une fermeture brutale, organisée dans l’urgence, et depuis, une reprise partielle, progressive, qu’on n’en finit plus de tricoter et détricoter.

A bien y réfléchir, fermés nous ne le fûmes pas complètement. La gestion de l’association, la communication avec les partenaires n’ont pas été interrompues. Un lien ténu (têtu ?) a été maintenu, via les réseaux sociaux, avec les habitants ; l’accueil de loisirs a pris le relais des enseignants et des agents de la collectivité pour accueillir les enfants des personnels soignants ; la sophrologie s’est faite à distance, par écrans interposés ; nous avons contribué au projet Bonjour ! en proposant aux habitants d’envoyer un message aux résidents d’EHPAD confinés ; on a appelé les familles du clas, les personnes accompagnées par la DAC, les habitués de nos ateliers-adultes ; l’accompagnement aux démarches dématérialisées s’est mis en place par téléphone.  

Depuis, nous réapprenons pas à pas à faire du lien à distance. Un non-sens, que chacun vit avec plus ou moins de difficultés ; une injonction paradoxale que nous veillons à penser collectivement.

Et avant, avant le coronavirus, qui étions-nous au juste et dans quel état, de quoi, de qui étions-nous faits[1] ?

Nous venions de recruter deux animateurs et le Groupe d’Entraide Mutuelle, projet auquel nous avions beaucoup travaillé au sein d’un collectif tellement puissant, allait ouvrir. Nous finalisions l’assemblée générale, qui devait se tenir à Chamouillac : les bénévoles avaient préparé l’animation de leurs tables rondes, ravis et stressés à la fois de présenter pour la première fois ce qui les anime depuis trois ans, une réflexion sur la gouvernance ; on avait pris date avec le maire de la commune pour installer ensemble dans la journée tables et chaises. Le réseau d’inclusion numérique s’engageait avec enthousiasme sur une action destinée aux professionnels pour « accompagner sans s’épuiser ».  Les accueils de loisirs filaient sur la route de l’émancipation avec un projet de formation fédéral. On attendait une nouvelle famille de réfugiés. La campagne électorale s’achevait sans qu’on se soit trouvé au centre d’un mauvais débat.  Les soirées consacrées au renouvellement du projet fédéraient de plus en plus d’habitants.

Nous étions plein d’allant, mais tout n’allait pas si bien.

Nous aurions eu besoin d’un peu plus de temps pour trouver nos marques dans ces nouveaux locaux. La gare amenait son lot de voyageurs, parfois sans domiciles fixes. L’accueil était phagocyté par France Services et les demandes exponentielles, imprévisibles, parfois urgentes d’habitants qui arrivaient là au terme, car nous avions le souci d’apporter une réponse, d’un périple qui n’améliorait pas l’image du service public. Nous avions le sentiment que la gestion du quotidien, inscriptions, désinscriptions, facturations, relances, demandes d’informations, enquêtes, bilans, requérait de plus en plus de temps et tendait les relations. Nos forces s’amenuisaient, au fur et à mesure des maladies, accidents, coups du sort,  auxquels il fallait  pallier. Nous voyions les échéances approcher avec horreur. Nous avions parfois la désagréable impression de n’avoir prise sur rien. Notre joie faiblissait un peu plus à chaque décision brutale, chaque changement de règles, dont les conséquences cascadaient jusqu’à nous.

On en était là, plein d’allant, mais tout n’allait pas si bien dans un monde qui ne tournait pas si rond.  

Ce que nous ferons de cette crise est tellement incertain qu’on ose à peine écrire que ce projet en portera la marque. Un attentat, une guerre, une pandémie ne parlent pas. Ils effraient, meurtrissent, divisent, nous plongent dans la sidération, l’agitation ou le repli, le besoin de trouver des héros et des coupables, mais ils ne parlent pas. C’est à nous de les dire et de leur donner un sens.

« La crise est tributaire de l’aléa : à certains de ses moments carrefours, il est possible à une minorité, à une action individuelle, de faire basculer le développement dans un sens parfois hautement improbable[2] ».

Nous sommes d’irréductibles optimistes.


[1] Un questionnement inspiré de « Prendre dates », Verdier, 2015, de  Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet

[2] Edgar Morin, Qu’est-ce-qu’une crise ? https://theconversation.com/quest-ce-quune-crise-136026